20 plantes médicinales pour une infusion

Plantes composant la Boldoflorine
Plantes composant la Boldoflorine

La généalogie simplifiée de la famille Fouché

Les Fouché sont des agriculteurs de la région du Languedoc. Ils cultivent des plantes aromatiques pouvant servir à la préparation des liqueurs. Antoine Fouché, né en 1793 est cultivateur. Vers 1815 il s’installe en région parisienne à Houdan, fabrique des liqueurs dont le succès lui permet de créer une entreprise prospère. Son fils, Jean-Pierre Fouché, transfère la culture des plantes à Houdan, il se spécialise et devient distillateur : il extrait des huiles essentielles et distille l’absinthe. En 1855 la distillerie Fouché est renommée.

On retrouve quelques traces de cette époque sous la forme d’inscriptions plus ou moins effacées par le temps : « cidrerie, distillation, spiritueux : avec les pommes, se fabrique le cidre qui, distillé, donne de l’alcool lequel sert à fabriquer des liqueurs… » Et cela se passe en 1885 !

La mort prématurée d’Antoine-Elie Fouché survient en 1897. Deux incendies, en 1901 et 1909, détruisent l’usine. Paul Fouché obtient les autorisations nécessaires pour reconstruire une usine moderne et poursuivre son activité, grâce à la présence de cultures de plantes aromatiques et d’une main d’œuvre abondante. Ils deviennent ainsi les « Fouché de Houdan » et constituent une véritable saga familiale.

Dans le lot des plantes distillées figure l’absinthe, liqueur chère aux peintres impressionnistes : elle est définitivement prohibée en 1915 au cours d’un marathon politique au profit de l’anisette pourtant tout aussi toxique !

Après ces années difficiles les Fouché se doivent de rebondir. L’idée géniale est de devenir « Établissement pharmaceutique ». Sous l’impulsion de René-Paul Fouché, qui a obtenu son diplôme de « pharmacien de 1ere classe » en 1921, ils se consacrent, à partir de 1922, à la fabrication de tisanes à base de plantes médicinales aux normes contrôles de qualité.

René-Paul met au point une formule composée de 20 plantes médicinales qui va rester durant plus de 50 ans une des plus célèbres tisanes, la « bonne tisane pour le foie ». La marque est déposée en 1933 et commercialisée en 1935, elle sera finalement cédée en 1996.

Cette longévité est chèrement acquise au moyen d’une publicité moderne souvent stupéfiante pour l’époque : radio, documents, affiches de dessinateurs célèbres, encarts de presse, messages, slogans, « sponsoring »  (ambulance du Tour de France cycliste).

Les progrès industriels permirent de nombreuses améliorations dans le conditionnement des tisanes d’abord présentées en vrac puis en infusettes : une invention destinée, à l’origine, au conditionnement du thé.

Les Établissements Fouché poursuivent leurs activités en diversifiant leurs productions (extraction de principes médicamenteux, nouvelles gammes de plantes, thés…) et ce jusqu’en 1970 où l’entreprise se recentre sur son savoir-faire. L’essentiel de son activité concerne le traitement de matières premières depuis la culture des plantes jusqu’à leur conditionnement à l’aide de machines « révolutionnaires ». Tout est produit et fabriqué avec ingéniosité, de l’impression des boîtes jusqu’au produit fini.

Les talents conjugués des chefs d’entreprise et de l’ensemble des personnels sont l’exemple d’une Entreprise familiale pharmaceutique de la première moitié du XXe siècle, paternaliste certes mais humaniste. En effet, dans la succession des générations, s’est transmise une volonté d’efficacité, d’innovation et de motivation des personnels unis dans le même esprit de famille. Ces personnels témoignent du temps heureux où ils étaient attachés à leur usine et fiers de l’être. C’est l’histoire d’une famille de Houdan qui a fabriqué la plus célèbre tisane pour le foie. La saga familiale des Fouché s’apparente à celle des entreprises de l’époque qui ont dynamisé l’ère industrielle. Elle peut se rapprocher d’une autre saga familiale celle de la famille Menier.  

Le génie d’une formule à base de vingt plantes

Nous sommes en 1930 ; un dîner a lieu au restaurant Drouant à Paris à l’endroit du siège de l’Académie Goncourt depuis octobre 1914. René-Paul Fouché est entouré de ses « copains » de faculté, médecins et pharmaciens. La discussion porte sur la médication familiale, nouvelle classe de médicaments non prescrits par un médecin mais délivrés par un pharmacien. C’est la période où vont être créées plusieurs marques qui resteront longtemps célèbres : Aspro contre le mal de tête, Préparation H pour soigner les hémorroïdes, Sirop des Vosges Cazé contre la toux…

René Paul Fouché ne veut pas être en reste, il pense à une préparation digestive et laxative. Il décide alors de composer une « tisane pour le foie » dont l’action sera plus ou moins forte selon la durée de l’infusion. « La bonne tisane pour le foie est née ».

Le mélange comprend 20 plantes médicinales : Cacao, Hysope, Pariétaire, Bourdaine, Châtaignier, Saponaire, Menthe, Coriandre, Séné, Noisetier, Frêne, Fenouil, Boldo, Romarin, Pomme, Mélisse, Aunée, Fougère Aigle, Reine des Prés et Réglisse.

Il y a bien longtemps qu’est connue la forme d’administration des plantes médicinales en tisanes, elle fait l’objet de règles très précises de composition, de préparation et d’administration.

Un mélange pour tisanes est composé de plantes responsables de l’activité et adjuvantes, de plantes améliorant la saveur et l’aspect ainsi que celles facilitant le mélange et le coulage dans les machines. Dans le cas présent la Bourdaine et le Séné sont responsables de l’activité laxative, le Boldo est cholagogue et cholérétique, l’Aunée et la Reine des Prés servent d’adjuvants ainsi que le Fenouil, la Mélisse, la Menthe et la Réglisse.

Pour se différencier d’autres produits à l’époque sur le marché, la réglisse est ajoutée pour son action antispasmodique, d’où l’expression de « tisane qui fait aller sans faire de mal » ! La Saponaire facilite la solubilisation des principes actifs, l’Aunée est un rehausseur de goût, la Pomme aide à l’écoulement du mélange dans les machines, le Châtaignier et le Noisetier facilitent l’homogénéisation du mélange. Tout compte fait la formule reste secrète !

Préparation industrielle d’une tisane

La préparation industrielle de la tisane comporte plusieurs opérations. Après la prohibition de l’Absinthe en 1915 les cultures se sont diversifiées comme celles de l’Hysope, de la Menthe poivrée et parmi les plantes médicinales, la Belladone, l’Angélique, l’Ortie et le Chiendent. La main d’œuvre locale atteint 100 personnes pour 60 hectares cultivés.

Après la seconde guerre mondiale subsistent encore de nombreuses cultures de plantes aromatiques et médicinales : il est aussi possible de récolter des plantes sauvages. Il faut aller chercher la Reine des Prés à St Rémi l’Honoré, la Fougère aigle en forêt de Rambouillet.

Pour d’autres plantes, il faut s’adresser directement à des producteurs spécialisés. Seules sont importées le Boldo du Chili, la Réglisse de l’Iran, le Séné de l’Inde qui arrivent déjà coupées, séchées.

Après la cueillette les plantes récoltées fraîches sont transportées pour être séchées en couche mince et à l’air libre dans un grand hangar séchoir situé à proximité de l’usine. 

Le broyage et le mélange sont les opérations suivantes ; une structure de l’usine en hauteur (5 étages plus un comble) permet d’utiliser la gravité à chaque étape ce qui ne consomme aucune énergie lors de la descente. Le local d’accueil où s’effectue les coupes et le broyage est situé en rez-de-chaussée de l’autre côté de la rue et après la coupe, le transport des plantes séchées se fait à l’aide de wagonnets en bois (qui respirent, à la différence du matériel en inox) et un monte-charge électrique.

Le stockage de chaque plante se fait alors dans des trémies en bois au 5ème étage. Elles permettent de composer des mélanges à façon. Le mélange se fait selon le cas avec de petits ou gros mélangeurs en forme de cubes tournant autour de leur axe. Une pesée est réalisée pour chaque plante entrant dans la composition du mélange. Plusieurs contrôles figurant sur le cahier des charges sont réalisés à chaque grande étape (identité, qualité). Après, le mélange est placé dans un système d’approvisionnement des machines destiné aux étages inférieurs. C’est là qu’intervient la gravité. Il reste donc à faire la répartition en boites (vrac) ou en sachets (infusettes).

C’est à ce niveau qu’a été créée et réalisée une mécanisation d’avant-garde à l’aide de machines révolutionnaires : CHAMBON (française) et CONSTANTA (allemande).

La machine Chambon est une empaqueteuse conçue à l’origine pour mettre du sucre en boîte. Elle sert à conditionner mécaniquement les tisanes. C’est un réseau de mécaniciens « maison » qui a réalisé avec succès la conception et la mécanisation poussée pour l’époque. En amont l’impression est faite avec une machine OFFSET qui a permis une production importante et de grande qualité.

L’implantation et l’installation de la machine Constanta sont le fruit de nombreuses opportunités qu’a su saisir René-Paul Fouché au cours de ses voyages et de ses rencontres en particulier avec les propriétaires de la Maison Teekanne. Son but est le développement du sachet de thé ou infusette qui va révolutionner la préparation des tisanes. L’invention consiste à fabriquer un filtre sachet de papier spécial sans colle : c’est nouveau, rapide d’emploi, bon marché et propre. Les machines font les infusettes avec enveloppes ; elles vont très vite et sortent jusqu’à 180 sachets par minute. Mais il faut au début les coupler avec une autre machine pour « cellophaner » les boites.

C’est dans les ateliers de l’usine Fouché qu’une véritable chaîne de production est constituée, réalisant une automatisation en continu dont se souviennent encore les ouvriers si fiers de travailler avec des machines aussi performantes. L’apogée de la production a lieu entre 1960 et 1970.

De nos jours on peut malheureusement trouver sur le marché des infusettes contenant des débris de plantes sans odeur ni saveur. Dans le domaine pharmaceutique c’est la qualité qui doit prédominer et c’est ainsi que sont proposés de nouveaux sachets contenant des fragments de plantes de grande qualité plus chers, certes, et non des brisures. C’est tout le savoir-faire pharmaceutique Fouché.

Conclusion 

Carol Fouché, dernier de la lignée des Fouché, s’est battu jusqu’au bout pour sauver l’Entreprise. D’abord ce furent des essais de diversification : extraction de principes actifs d’origine végétale, création de nouvelles gammes de plantes à tisanes, de thés spécialement choisis.

Le coup de grâce arrive avec la tempête et les pluies de 1999. Dégâts de toitures, nombreuses réserves de plantes, boites et cartons sont inondés et les Assurances traînent à rembourser. Les contrats ne peuvent pas être honorés aux dates prévues et la Grande distribution ne veut pas attendre. La fin est proche, les machines et les équipements sont vendus. En 2003, l’usine Fouché ferme définitivement ses portes après avoir été un modèle d’Etablissement pharmaceutique familial.

Un promoteur se propose de transformer l’ensemble du site en logements et en construisant un immeuble en forme d’usine. Lors des travaux, un accident ou supposé tel, déclenche un incendie où disparaissent les parties en bois et les fameuses trémies. Pour la conservation d’objets et documents restant encore, Carol Fouché veut absolument tenter quelque chose.

Un projet de garder la « mémoire de l’entreprise » avec la création à Houdan d’un musée de la tisane n’aboutira pas. Heureusement, à Houdan, existe un photographe renommé, Patrice Lahaye, qui conserve avec art et soin des œuvres photographiques qui témoignent du passé de la ville et de l’entreprise Fouché. Michel Paris, pharmacien et professeur de pharmacognosie retraité se lie d’amitié avec le photographe. Il rencontre Carol Fouché dont il a bien connu le père Paul quand il était thésard au laboratoire de son Père le professeur René Paris. Il décide d’écrire un livre avec eux. Cela permet ainsi aux trois contributeurs passionnés de rassembler documents et témoignages… Trois ans plus tard le livre est publié en même temps que l’exposition de septembre 2010 à l’Office de tourisme d’Houdan. L’exposition présente des objets et surtout de nombreux documents, affiches publicitaires et photographies, qui retracent l’histoire si riche des Entreprises Fouché à Houdan.

Garder ainsi la mémoire d’une aussi longue période d’une entreprise familiale de fabricants de produits aromatiques puis pharmaceutiques, c’est témoigner des vies consacrées à l’Entreprise. C’est révéler l’amour du travail bien fait, le savoir-faire, et la fierté d’être attaché à une telle aventure. C’est rendre un vibrant hommage à toutes ces heures passées au bénéfice d’une cause comprise par tous. Cela valait bien un livre sans doute !

Au-delà, pourquoi, pour qui et comment conserver des documents patrimoniaux ? L’Objet thématique 2017 des Journées européennes du patrimoine qui mettait « la jeunesse au cœur du patrimoine » a posé la question de la transmission aux jeunes générations. L’exposition temporaire proposée par le Conseil national de l’Ordre des pharmaciens à cette occasion était une première étape précédant l’entrée de ces œuvres dans les Collections d’histoire du Fonds de dotation de l’Ordre des pharmaciens qui en assurera la pérennité. Aussi, cet article est-il le gage de notre gratitude chaleureuse et amicale à l’égard de Dominique Kassel, conservateur de ces Collections.

Michel Paris, Docteur en Pharmacie, Professeur honoraire de pharmacognosie de l’Université Paris 11

Michel Paris


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