Le chocolat, remède à tous les maux...y compris ceux des pays producteurs

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Conférence prononcée le 15 octobre 2001 dans le cadre de l’exposition « Le chocolat, remède à tous les maux » par Jean-Pierre Bensaïd, consul honoraire de Sao Tomé et Principe

Situées sur la ligne de l’équateur, les îles de Sao Tomé et Principe font partie d’une chaîne montagneuse volcanique qui part du Mont Cameroun jusqu’en Guinée équatoriale. L’archipel s’étale sur une superficie de 1 001 km2 dans l’océan atlantique à 300 km des côtes gabonaises, dans le golfe de Guinée.

L’histoire commence le 21 décembre 1470 lorsque des navigateurs portugais cherchant la route des Indes découvrent l’île de Sao Tomé, qui signifie Saint-Thomas en portugais. Trois ans plus tard, les mêmes explorateurs portugais découvrent une autre île plus petite un peu au nord est, ils l’appelleront Principe qui veut dire Prince afin d’honorer le dauphin, fils du roi du Portugal. Ces deux îles sont depuis 1470 des colonies portugaises. 

Quand les Portugais découvrent ces îles, elles sont inhabitées. Ils s’y installent et y envoient des bagnards et des forçats. Durant l’inquisition espagnole, 2 000 enfants juifs orphelins d’origine espagnole viendront accroître la population. Le troisième volet de peuplement sera constitué par des esclaves noirs de la côte africaine du golfe de Guinée actuellement l’Angola, le Congo, le Gabon, le Cameroun. La nation sao toméenne s’est composée avec le mélange de ces trois couches d’arrivants car, contrairement à la France, les autorités portugaises ont toujours encouragé le métissage dans leurs colonies. 

Le cacao est arrivé sur le continent africain en 1822, sur l’île de Principe importé par des colons portugais rapportant toutes les richesses du nouveau monde, dont des plants de cacaoyers. Ces plants provenaient des colonies portugaises du Brésil et plus précisément de la Basse Amazonie. La culture du cacaoyer, démarrée en 1855, s’est bien développée dans cette zone intertropicale grâce à son climat chaud et humide, aux terres volcaniques fertiles et riches en azote et en potasse. Pour améliorer la productivité et la qualité différentes tentatives d’hybridation ont donné naissance à l’amelonado dont la forme ovale ressemble à celle d’un melon. Cette qualité s’est très bien développée sur l’archipel mais a donné de très mauvais résultats en Côte d’Ivoire : l’amelonado bas amazonien de Sao Tomé est « quasiment exclusif à Sao Tomé ». En 1913, Sao Tomé est le principal producteur mondial avec 36 000 tonnes et devient l’île chocolat. 

La production de cacao s’est progressivement développée en Afrique et en particulier en Côte d’Ivoire qui est aujourd’hui le principal producteur mondial. Les pays limitrophes, Ghana et Cameroun, ont des productions qui dépassent celles de Sao Tomé, lesquelles ont décliné depuis la fin de l’époque coloniale en 1975, du fait du départ des planteurs portugais, du manque de main d’oeuvre qualifiée et du vieillissement des plantations. Le manque de moyens financiers ne permet pas l’utilisation d’engrais et de pesticides qui pourraient améliorer la production. Sao Tomé ne produit plus aujourd’hui que 4 000 tonnes par rapport à une production mondiale de 2 500 000 tonnes. Si la production est devenue marginale la qualité déjà réputée à l’époque coloniale ne s’est jamais démentie. Cependant, ce cacao se vend très mal sur le marché mondial. 

Le cacao de Sao Tomé est utilisé pour faire des assemblages. Effectivement, les chocolats pour 95% à 98% sont constitués par des assemblages de cacaos de différentes origines. Selon les grands industriels qui détiennent 80% du marché mondial les assemblages permettent d’obtenir les meilleures qualités de chocolat. Cependant 75% à 80% du cacao ne sert pas à faire du chocolat en tablettes : il est utilisé dans l’agro-alimentaire pour produire des confiseries chocolatées. Cette stratégie des assemblages de cacao d’origines multiples permet de faire jouer la concurrence dans une économie de marché international, avec des prix plus à la baisse qu’à la hausse, au détriment des pays producteurs comme Sao Tomé et Principe, qui n’est qu’un exemple parmi tous les petits pays producteurs. 

On trouve maintenant sur le marché du chocolat pure origine, qui correspond à la demande et au goût des consommateurs. Ce processus s’apparente à celui du café : on a commencé, il y a une trentaine d’années, à boire de l’arabica plus fin et plus savoureux que le robusta plus rugueux. Puis, depuis quinze ans, du café du Brésil, du moka d’Ethiopie, du café d’Haïti plus doux et plus suave et enfin du blue mountain de la Jamaïque qui serait le summum du café en tout cas le plus rare et le plus cher. 

Pure origine ne signifie pas forcément bon. Cependant cela permet d’identifier la provenance, le pays et parfois la région, la composition et d’avoir une traçabilité du produit. Une tablette de chocolat peut-être composée d’assemblages classiques, 30% de Côte d’Ivoire, 40% de Ghana, 10% d’Indonésie et peut-être un peu de Sao Tomé : c’est simplement un mélange mais on ignore de quoi est composé ce mélange. Une autre tablette, pur Equateur indique et garantit que le chocolat est fabriqué avec exclusivement du cacao qui vient de l’Equateur. Le pure origine est un chocolat fabriqué avec du beurre de cacao et du cacao provenant d’une seule région et d’un même terroir. Il est mélangé à du sucre pur canne et aromatisé à la vanille naturelle. Le chocolat pure origine est donc fabriqué avec du cacao provenant d’un même pays.

La nouvelle directive européenne qui prendra effet en 2003, autorisera le remplacement de 5% de beurre de cacao par des matières grasses végétales et se fera au détriment de la santé publique mais aussi des pays producteurs au profit de certaines multinationales. 

Qu’en est-il aujourd’hui de la situation des petits planteurs des Iles de Sao Tomé et Principe ? La décence voudrait que les personnes qui travaillent dans les plantations puissent envoyer leurs enfants à l’école, accéder aux soins et à la santé, et avoir des conditions de vie correctes. Or ils vivent dans la misère et dans des conditions indignes pour des êtres humains du XXIe siècle.

Le fruit du cacaoyer s’appelle une cabosse : dès maturité on récolte ces cabosses à l’aide d’une machette et la première opération consiste à extraire les fèves entourées d’un mucilage. Ces fèves fraîches doivent impérativement, dans les heures qui suivent la récolte, être mises à fermenter, car c’est au cours de la fermentation que se développent les précurseurs d’arôme qui donneront ensuite les caractéristiques, le goût, la saveur du futur chocolat. La fermentation naturelle se fait dans des bacs en bois et dure 6 jours. Les graines sont étalées sous des feuilles de bananiers : le mucilage va se déliter et des échanges gazeux vont se faire. Une fois la fermentation terminée les graines sont étalées au soleil pour le séchage. La méthode traditionnelle est le séchage au soleil sur de grandes claies de bois sur roulettes. On étale les fèves sur une seule épaisseur, on les met au soleil et le soir, on les rentre dans un hangar pour éviter les différences thermiques entre le jour et la nuit qui provoqueraient de la condensation ; on les rentre également en cas de pluie. Le séchage au soleil prend en moyenne entre 8 à 12 jours. C’est le meilleur séchage possible car il est complètement naturel et il permet de fixer les précurseurs d’arômes qui ont commencé à se développer avec la
fermentation.

Une autre méthode artificielle permet de raccourcir le temps de séchage. On utilise des fours à charbon de bois ou des fours électriques. Le résultat peut-être obtenu en 6 heures ce qui diminue le coût mais nuit à la qualité du cacao marchand : le cacao peut avoir un goût de fumée. Le tri, la torréfaction et toutes les étapes de transformation du cacao marchand en chocolat sont faits par les pays consommateurs. Toutes ces étapes de transformations sont importantes car elles participent à l’arôme final.

Malheureusement à Sao Tomé, la plupart des planteurs, par manque de moyens pour acquérir bacs et claies, ne font pas la fermentation et vendent directement leurs fèves fraîches. Ils les vendent à bas prix aux représentants des multinationales. C’est un marché de dupes car ayant vendu leurs graines fraîches trop peu chères, ils ne peuvent pas obtenir des revenus suffisants pour les faire vivre. Ils s’appauvrissent et bien que certaines familles de planteurs soient dans le cacao depuis des générations, ils abandonnent progressivement leurs plantations et les arrachent pour se consacrer à d’autres cultures qui leur donnent un revenu minimum.

Le chocolat, remède aux maux des pays producteurs : comment faire pour donner aux petits planteurs les moyens de se développer, de vivre mieux ? Le commerce équitable, des actions de solidarité ou des actions d’intelligence au sens large de la planète sont-ils la solution ? Commerce équitable ou commerce éthique, qu’est ce que cela veut dire ? Cela signifie qu’une tablette de chocolat qui coûte 20 francs devrait être passée à 25 francs pour reverser 5 francs aux petits planteurs : une fois de plus, c’est le consommateur qui ferait les frais du commerce équitable et ce n’est pas pensable.

Il faut donner aux petits pays producteurs les moyens de travailler, de se développer et les moyens de vivre mieux en leur procurant du matériel pour pouvoir obtenir le cacao marchand et le vendre au prix du marché. Car comme le dit le proverbe chinois :« si on donne un poisson à un homme, on peut le nourrir pendant un jour, si on lui apprend à pêcher, on le nourrit pour sa vie ». 

Ainsi, grâce à un producteur et chocolatier français, qui a remarqué les saveurs et les qualités gustatives des cacaos de Sao Tomé, une action a pu démarrer par la création d’un chocolat pure origine qui vient d’être commercialisé. Ce chocolatier a accepté que sur toute quantité de chocolat vendue, une partie du produit de la vente serve à fournir aux petits planteurs de l’île de Sao Tomé, des claies de séchage et des bacs de fermentation.

En menant ce type d’action, on fait de l’action solidaire, de l’éthique, de l’équitable, on fait de l’humanitaire et de la solidarité, mais on défend également les consommateurs de chocolat. Et cela se vérifie si l’on considère que la consommation de chocolat augmente alors que la production mondiale qui est de 2 500 000 tonnes stagne et que l’avenir de la cacaoculture est menacé.

La directive européenne venant de Bruxelles, qui autorise la substitution de 5% de beurre de cacao, dont personne ne pourra vérifier le pourcentage, par d’autres graisses d’origine végétale, dont le prix est très inférieur, laissera aux industriels la porte ouverte aux abus. Heureusement on trouvera sur le marché des chocolats pur beurre de cacao grâce aux chocolatiers français qui, au sein de leur confédération, se battent très fort pour que le chocolat garde son appellation sans ajout d’autres matières. Si l’on veut défendre pour nous-mêmes, nos enfants et nos petits-enfants un chocolat de qualité, il faut à la fois lutter contre la directive européenne et soutenir les pays producteurs afin qu’ils puissent continuer à fournir non seulement la quantité mais aussi la qualité du cacao marchand.

Le drapeau de Sao Tomé est composé d’une bande jaune centrale, ornée de deux étoiles noires, entourée de deux bandes vertes horizontales et d’un triangle rouge à la verticale. Le triangle rouge symbolise le sang versé pour l’indépendance, les deux bandes vertes représentent la forêt et les deux étoiles les deux îles de Principe et Sao Tomé. La bande jaune centrale représente le cacao parce que le cacao c’est l’âme et c’est la vie de Sao Tomé.

Jean-Pierre Bensaïd