Suite au colloque organisé par le CNRS et la SHP (Société d'Histoire de la Pharmacie) et consacré à la thériaque le 18 mars 2010 « Entre panacée et savoir pharmaceutique. La thériaque d'Andromaque à Moyse Charas » au siège de l’Ordre des pharmaciens il a été envisagé de tenter d’identifier le contenu d'un pot "Thériaque".
Pot couvert en porcelaine blanche, couvercle, décor doré d'un cartouche composé de deux palmes fleuries au ruban noué, surmonté de la coupe d'Hygie : inscription "THERIAQ:" Marque sous le fond : Pochet Deroche la marque correspond à la période (1833-1839). L'usure du décor témoigne de l'utilisation effective du récipient. Le pot contient une quantité significative de produit dont l'ancienneté est probablement équivalente à celle du contenant .
Fiche technique
Le contenu du pot de thériaque en porcelaine blanche de marque Pochet Deroche du XIXe siècle (vers 1830), don de Monsieur Robert Montagut à l’Ordre des pharmaciens est il de la thériaque ?
Suite au colloque organisé par le CNRS et la SHP et consacré à la thériaque le 18 mars 2010 « Entre panacée et savoir pharmaceutique.La thériaque d'Andromaque à Moyse Charas »
au siège de l’Ordre des pharmaciens il a été envisagé de tenter d’identifier le contenu dudit pot.
Dominique Kassel, Responsable des Collections d'histoire de la Pharmacie de l'Ordre des Pharmaciens , en présence du Professeur Christian Warolin, a confié cette tentative au Professeur Ivan Ricordel, Directeur honoraire du laboratoire de toxicologie de la Préfecture de Police à Paris. Celui-ci procéda en leur présence avec l’aide de Pauline Sibille et Nathalie Milan ingénieurs INPS à un prélèvement d’échantillons en vue d’analyses. Pour des raisons conjoncturelles, ces analyses ont dû être différées et ont pu être réalisées en 2017.
Description
L'opiat, est une masse noirâtre compacte, très dure, à odeur faiblement aromatique et aigre, est- elle réellement de la thériaque de l’époque et a-t-elle conservé des principes actifs ?
Méthodologie
Sur la base de la pharmacopée française de 1818, il est sélectionné 665 molécules principales susceptibles d’être présentes dans les 57 ingrédients entrant dans la composition de la thériaque.
Plusieurs extractions ont été pratiquées en milieux légèrement acide (ac tartrique), en milieu neutre et en milieu alcalin (pH 8,3 et pH 10) par divers solvants (éther de pétrole, éther, chloroforme, dichlorométhane …)
Les extraits repris par l’éthanol ou le dichlorométhane d’une part et dérivés d’autre part (tri-méthyl-silylation) ont fait l’objet de chromatographies en Phase liquide Haute performance (HPLC) couplée à un détecteur à barrette de diode et en en phase gazeuse (CG) couplée à un détecteur de spectrométrie de masse MS (CG : modèle HP série 6890 ; SM : appareil modèle HP série 5973).
Le détecteur de masses disponible avait pour limite maximale de détection 700 UMA ce qui excluait la possibilité d’identifier certains alcaloïdes de la scille ou du millepertuis.
Par ailleurs les minéraux (sulfate de fer desséché; terre sigillée ; bitume de Judée) n’ont pas été recherchés.
Résultats
196 molécules parmi les 665 retenues comme témoins potentiels de la présence des 57 constituants de la thériaque ont été identifiées formellement permettant d’affirmer la présence, encore détectable deux siècles plus tard, de 29 des substances attendues, tous les alcaloïdes de l’opium sont en particulier présents.
Parmi ces 29 ingrédients, les mieux identifiés sont l’opium, la racine de valériane ; l’acore odorant ; Meum athamanticum; l’écorce de cannelle ; la racine de gingembre ; le bois d’aloes ; le laurier commun ; les feuilles de scordium ; le marrube blanc ; la petite centaurée ; les poivres long et noir ; le persil (fruits) ; les fleurs de stoechas lavandula ; l’écorce de citron ; les fruits d’ammi officinalis ; semenses d’ers ; agaric blanc ; baies d’aloes ; gomme arabique ; myrrhe ; résine oliban ; opopanax ; benjoin ; castoréum ; thérébentine de Chio ; miel ; dictame de crète…
Aucun principe n’a été identifié pour 2 ingrédients : quintefeuille et cachou.
Pour les 23 restants :
Pour 19 d’entre eux, 20 à 40 % des principes actifs ou molécules normalement présentes sont identifiés (ex >30% : fenouil fruits ; anis fruits ; sesseli de Marseille ; daucus de Crète ; cardamome ; galbanum Ferula gummosa. ; chamaedrys (somites) ; chamaepitys ajuga (somites) ;
iris de Florence …)
Pour les 4 autres, 15% ou moins de 15% des principes actifs ou molécules normalement présentes sont identifiées (racine de gentiane ; pouliot ; safran ; scille).
Si la préparation analysée date effectivement de la période supposée, il apparaît que sa conservation est étonnante puisque 200 ans ne sont pas venu à bout de près de 60% des substances présentes initialement.
Pofesseur Ivan Ricordel Directeur honoraire du laboratoire de toxicologie de la préfecture de Police INPS, 2017, Paris : avec la collaboration de Nathalie Milan et Pauline Sibille, Ingénieurs Section Toxicologie, INPS LPS75.
Crédit photographique / Buxus Lan et Guy Portier
Pour en savoir plus
La Thériaque / Patrick Bourrinet, 2016
La Thériaque : 20 siècles d'histoire / Dominique Kassel, 1996